Purple blue skies Ft Sélène

Elle aurait du savoir.

Les héroïnes dans les longues complaintes fredonnées au son des luths ont toujours le cœur brisé. Il se fend sous les incompréhensions et les quiproquos, saignent un peu trop jusqu'à donner une couleur framboise à son corsage puis se fait étincelant par la suite, lorsque les nuages gris sont effacés.

Alice glisse ses doigts sur la soie ouvragée tandis que ses pensées chaotiques roulent dans un esprit désœuvré. Il faut qu'elle s'occupe, qu'elle se ménage des espaces ensoleillés sous les brumes environnantes.  « Tes tissus sont somptueux. » Elle sourit à sa cousine, les mots aimables et l'humeur charmante. Alice a toujours su donner le change, se faire jeune fille exemplaire quand bien même les lames affleurent sous la peau. Le désespoir lui donne un joli teint songe-t-elle avant de secouer doucement son fin visage. Elle n'est pas si attirante à vrai dire, la peau est trop fine, les lèvres trop sanguines. Ses épaules s'affaissent légèrement. Elle a beau faire de son mieux, rien ne semble y faire. Il l'a évité aujourd'hui encore, le regard droit et fier, le corps tout entier arqué vers ses occupations professionnelles. Il semblait avoir un peu de nervosité au coin des lèvres, de celle qu'elle aurait aimé lui effacer avec des baisers tendres et mordants.

 La bouche se froisse à nouveau, pleine de secrets de Polichinelle qui sillonnent les couloirs des palais environnants. Tout le monde sait qu'elle l'aime - sa chère cousine tout autant que ses amies. Elle ne s'en est jamais cachée d'ailleurs, porte ses sentiments en bandoulière avec une timide fierté. « « J’aimerais une nouvelle robe mais si je pouvais la coudre moi-même ce serait fantastique, tu ne crois pas ? Au début je pensais à des pastels mais c'est un peu enfantin. Nous sommes grandes à présent. » Elle n'est pas encore sûre d'elle, tâtonne dans ses débuts d'adulte, n'ose pas. Le baiser lui a révélé une partie secrète d'elle-même qu'elle peine encore un peu à comprendre. « Qu'est-ce qui est à la mode en ce moment ? Ou peut-être que je ne devrais pas suivre justement... on dit que je suis ennuyeuse parfois mais c'est facile quand on a de la fortune et de gros titres, on vous passe toute extravagances. » L'envie pointe, amère et piquante. Alice vient prendre un siège près de Sélène. Sa cousine au minois charmant lui semble de bon conseil aussi écarte-telle un temps sa jalousie latente. Les O'Jaslan ont le bon goût en héritage, tout du moins c'est-ce que sa mère aime à répéter. « Montre-moi encore ce point de croix, veux-tu. » Les doigts de Sélène voltigent sur le tissu dans une danse merveilleuse. Elle se penche un peu, la confidence comme un aveu. « J'aimerai une robe dorée... je crois qu'il aime le doré... mais cela me va nettement moins je trouve. » Le nez se retrousse, un peu triste. Les couleurs froides habillent bien mieux son teint de porcelaine. Elle doit paraître glacée pour véritablement se montrer à son avantage. Six pieds de givre pour recouvrir des laves en ébullition. A quoi bon s'il ne veut pas regarder sous la surface ? « De l'argenté peut-être ? J'aimerai tant être douée comme toi : regarde ! Pas une seule couture n’est visible ! » Alice tape des mains, l'enthousiasme bien réelle devant l'art ensorcelant d'une O'Jaslan.

Alice se sent un peu plus légère, à l’image des mousselines et autres gazes entre leurs mains. Les derniers jours n’ont pas été des plus simples. Athimbod lui manque, la présence silencieuse et le regard couleur océan comme un cocon protecteur. « J’aime beaucoup le bleu marine. » chuchote-t-elle tendrement, la mine sage et retenue. Ce n’est pourtant pas vraiment une couleur finalement. Tout le monde aime le bleu, la neutralité absolue presque trop plaisante. Elle retient l’autre aveu : elle préfère le rouge, les carmins, les vermeils, ceux qui brûlent et brillent trop fort jusqu’à l’empoisonnement des sens.

Ce n’est pas bien raisonnable tout ça.

« Cet été. Avec tous les remous que semblent connaitre le royaume, j’espère bien que l’on connaitra un été charmant. Je n’y comprends absolument rien et Myria… et bien… la duchesse d’An’Melhor a décidé de se renfermer sur elle-même comme une huitre. Je peux bien te le dire à toi, tu n’iras pas répéter. » Les liens du sang après tout ne souffrait aucune trahison de ce genre et Sélène – de par son office – entendait toute sortes de complaintes et de rumeurs plus ou moins alléchantes. Le pouls du royaume se prenait toujours à même les ceintures opales que les femmes portaient à leurs tailles.

Alice fronce son nez délicat, la moue en habit rose sur son visage trop pâle. « Cela ne te dérange pas ? Je veux dire… d’avoir un métier ? » Elle était toujours surprise par la dextérité de chaque membres de sa famille. Ils avaient débutés dans les côtes de mailles et les vêtements guerriers, puis voilà la nouvelle génération qui s’adonnait à la mode et ses taffetas duveteux. « J’ai l’impression de ne servir à rien. Surtout en ce moment. » Dame de compagnie quand on ne recherche même pas son amitié. Pathétique La rancœur gonfle en un soupir à fendre les pierres. L’aiguille tourne entre ses jolis doigts avant qu’elle ne le plante sauvagement dans le tissu. « Je devrais… je ne sais pas… aller à la guerre… ou peindre des portraits à la cour… je ne suis pas assez douée pour ça… je sais, je ferais une parfaite épouse de général, tu ne crois pas ? Je n’en connais aucun et je préfère les chevaliers de toute manière. » Elle grommelle mignonnement, fait les cent pas dans la pièce. Le calme olympien de Sélène l’adoucit mais lui rappelle combien elle est elle-même désœuvrée. « Pardon ma douce Sélène, je t’ennuie. Je fais ci et ça et ne suis jamais contente. J’aimerai avoir ton caractère. » Elle accourt pour enlacer les épaules de sa cousine en une étreinte aussi fugace que moelleuse. Elle sait pourquoi elle est de si volatile humeur : l’absence d’Athimbod se fait sentir et la rend folle. « Tu es si douée que je suis persuadée que la plupart des elfes de ce royaume ne mérite pas tes talents. Oh… » Alice claque des mains et le visage se pare de taquinerie. « On devrait faire une robe pour la Aasimar. Une couleur caca d’oie. Immonde. Héhé, ça leur ferait leurs oreilles qui ne sont franchement pas jolies en nature. »