Ebraheim Garäye - Break my back on jagged rocks again

Une brume compacte et implacable entoure son esprit et il lui est incapable de répondre correctement à la question de ses origines. Il voit des montagnes, de la neige à foison et sa peau rougir sous les assauts du soleil. Il voit une ville aussi, floue, où les bâtiments sons à peine visibles à cause de la menace de l'oubli. Il entend le murmure d'un nom Cill'Mohr, sur les bouches des visages dénués d'expressions. Viendrait-il d'ici ? Ou bien il confond avec le chant des vagues et l'odeur iodée dont il est presque incapable de se détacher ? Qui sont ses parents ? Parce qu'il doit en avoir, n'est-ce pas ? N'est-ce pas ? Parce qu'il se souvient de la douleur aussi, et des craquements assourdissant de ses côtes qui se brisent, du goût cuivré dans sa bouche et la terreur quand il chute, priant les lunes pour que ça s'arrête. Quand il rouvre les yeux, c'est la douleur, fidèle compagne qui s'en va seulement quand elle en a envie. C'est l'origine de la brume dans son esprit, mais s'agit-il du début de la fin, ou celle du commencement ? Comment savoir, quand on ne sait plus rien ? Un murmure, Ebraheim, il rêve une nuit, quand la douleur ronronne dans son crâne et qu'il s'éveille en sursaut. Son nom ? On lui dit qu'il lui en faut un autre, car c'est ainsi. Garäye, il répond, les yeux rivés sur les cieux. Pourquoi ? Il hausse les épaules, c'est simplement joli, un peu comme une couleur, comme le vert, il aime bien le vert Ebraheim, et le bleu aussi, comme les montagnes et les cieux – l'océan dans lequel dansent les étoiles – mais est-ce tout ? Il se surprend parfois, à observer la lueur hypnotique des rayons des lunes sur la mer, plonger et ne jamais remonter, mais pourquoi ? Enfin, avant tout, il faudrait peut-être qu'il sache nager.

Sans famille et sans souvenirs, il est un orphelin parmi tant d'autres, survivant comme il le peut, glissant une main dans une poche ou trébuchant contre un étalage de pomme pour en faire maladroitement tomber quelques-unes dans un sac. Ça ne fonctionne pas toujours et il apprend de chacune ses erreurs, c'est trop risqué sinon. Il aime moyennement la douleur, alors s'il peut éviter de se faire tabasser, sur le long terme, il estime que c'est une hygiène de vie plutôt saine, que de rendre les coups. C'est bon pour ses nerfs, aussi. Voler un pirate, aussi, n'a pas été une de ses plus brillantes idées, mais comment pouvait-il le savoir, puisqu'il ne savait pas lire ? À défaut de se faire ouvrir la gorge d'une oreille à une autre, il lui a été gentiment demander de rejoindre l'équipage, pour réparer sa faute. En même temps, avec un œil eu beurre noir et un sabre sous le cou, il a sauté sur l'occasion. Comment refuser une demande pareil ? Contre toute attente, cette nouvelle vie, il s'y est fait rapidement. Mousse de l'équipage, bien trop jeune pour vraiment prendre part au pillage, il nettoie et cuisine. Il soigne aussi, apparemment c'est toujours judicieux d'avoir plus d'une personne avec ce genre de connaissance dans le coin. On lui apprend à se battre aussi, ne serait-ce que pour défendre les butins dont il ne voit jamais la couleur, au péril de sa vie. Il veut bien être un peu con et naïf, Ebrahaim, mais faut pas non plus le prendre pour un imbécile finit. Il ne dit rien, ceci dit. Il apprend vite, qu'on lui dit, il prend de la force aussi, c'est qu'il grandit, mine de rien. Ça le surprend, un jour, de réaliser qu'il s'est attaché à cet équipage. Il devient un peu la mascotte quand il découvre un passager clandestin à deux doigts de mettre le feu, documents importants du capitaine en main, qu'il assomme à coup de poêle. Cette famille qu'il trouve de façon inattendue, il la perd quand il a seize ans, l'arrogance du capitaine coûtant la vie à nombre d'entre eux, sous les coups de boulets de canon, ou bien noyé dans les flots.

On lui dit qu'il est une sirène, quand il reprend connaissance. Des branchies dans son cou et une fois rétabli, il s'immerge sous l'eau assez longtemps pour que ses mains et ses pieds se palment, réalisant avec surprise qu'il y respire, la dessous. Le choc est présent, puis minutieusement il fait réellement attention à lui-même et, effectivement, il a des écailles au contact de l'eau, sur les hanches et les reins, quelle évidence. Il y reste un moment, avec ce couple de pêcheurs et leur fils. Malgré ses travers, il est honnête, Ebrahaim et il se sent bien, chez eux. L'orphelin qu'il est devenu s'accroche à cette famille peut-être un peu trop fort. On lui apprend à lire et écrire, s'il avait déjà quelques notions du premier, le second est un apprentissage laborieux. Mais il tient à réussir parce qu'il veut qu'on soit fier de lui. Il ne devrait pas avoir besoin d'autant de reconnaissance, surtout quand en fin de compte, il se retrouve toujours seul. Peu de choses fascinantes sont à faire, dans ce village de pêcheurs, alors ils dévorent les livres de la bibliothèque, tout en faisant les quatre cent coups avec son ami. Il s'est rarement retrouvé avec une personne du même âge que lui, alors il en profite. Sauf que la maladie s'immisce sournoisement dans la maisonnée et que bientôt, il faut faire rentrer plus de sous pour parvenir à acheter les remèdes. La capitale, c'est là-bas, qu'ils se rendent. La ville est riche, que le changement est dépaysant. Et bientôt ils ont recours au vol pour compléter les revenus. Ils sont une petite troupe hétéroclite et il s'y attache, à ce groupe, aussi, Ebraheim. Il n'aurait pas dû, l'un d'entre eux s'en est pris à la mauvaise personne, ou du moins, le pensent-ils et ils retrouvent le cadavre de ce dernier. La main rouge le nargue encore dans ses rêves, parfois. Souvent. Ils se séparent, plus ou moins tacitement. On ne plaisante pas avec la main d'Ahara. Il a le cœur lourd et brisé, Ebraheim.

Il continue de voler pour arrondir ses fins de mois. Puis il devient Bry quand il apprend la création d'une guilde de voleur. C'est bien la seule chose à laquelle il excelle, après tout. Et il préfère ça plutôt que de se faire éventrer la nuit alors qu'il suit la même victime. Il y tient à sa vie, mine de rien. Il envoie toujours une partie de son butin à la famille qui l'a recueilli. S'il ne voit plus leur fils, ça ne veut pas dire qu'il ne pense plus à eux. Il a plus ou moins fermé son cœur, Ebraheim, il a perdu trop de familles, emportées par les flots, alors il ne se mêle plus trop aux autres, quand il obtient une place de palefrenier au sein d'une famille noble. Une bonne chose, quand ils se font tous renvoyer puisqu'il y a eu un vol de commis – l'ironie quand on sait qu'il n'en est pas responsable. Sa place de cocher est un atout non négligeable, il entend ce qu'il ne devrait pas et il partage avec la guilde. Il se demande pour combien de temps il sera d'une quelconque utilité à cette dernière. Les années passent et les ravages que son corps à subit n'en sont que plus présent. Les hivers sont rudes et douloureux, les changements de temps aussi. On ne réchappe pas d'une chute en montagne et divers os brisés aisément, ou d'un naufrage provoqué par des boulets de canons, valdingué à droite et à gauche, la douce musique des craquements de ses os maintenant si familiers à ses oreilles, tranquillement non plus. Alors ses bras tremblent, parfois, à Ebraheim. De petits spasmes à l'époque, ils ne cessent de se faire plus violent à mesure que le temps passe. Son activité de voleur est de plus en plus compromise. Quelque part, c'est une bonne chose qu'il ait mis un point d'honneur à ne pas chercher à savoir l'identité des autres membres, question de sécurité pour lui-même. Ça lui laisse un amer goût dans la bouche et ça n'a rien à voir avec la boisson qu'il boit de temps en temps. S'il ne peut plus vraiment être un voleur, à quoi sert-il ? C'est peu de temps après le couronnement qu'il retrouve une nouvelle place de palefrenier. Il se demande à quel point le destin lui en veut, Ebraheim. Ou alors c'est l'inverse, mais qu'est-ce qu'il en sait ? Il ne voit pas le futur.