taboo ○ Myria

Le plumage se fondit dans la nuit sans lune, le noir du corbeau éventrant cette galaxie d’étoiles. Il tournait, tournait au-dessus de la capitale, cherchant dans les bas-fonds ce qui ne pouvait être vu. Car cela faisait bien des années, que toute trace du méfait avait disparu. Ce n’était pas la nouvelle Lune. C’était une nuit auparavant. Mais le corbeau était une créature minutieuse et aimait être préparé. Surtout que ce qui s’annonçait ne serait que plus d’amusement pour la créature funeste. Elle croassa d’impatience, avant qu’elle ne s’enfonce encore plus de l’enchevêtrement de ruelles, passant entre les cordelles de linges oubliés et les lueurs des bougies. Des ombres, pareilles à celle qu’il projetait aux murs des bâtisses se mouvaient plus bas et il fondit sur l’une, grasse et poilue. Le rat se débattit, mais il ne pouvait rien faire contre ce bec sombre habituée à la traque, à la mort.

Köl était prête.

Le lendemain, à l’heure du rendez-vous convenu avec la duchesse, elle franchit les grandes portes du manoir des An’Melhor. Son garde fut abandonné dans l’entrée, un majordome la guidait dans une succession de couloirs. La chamane laissa courir son regard sur les richesses déployées, qui n’avaient rien à envier au Palais des Astres. Mais elle n’était pas là pour ça, et elle était difficilement une amatrice des arts clairs. Elle préférait les arts obscures, raison de sa présence ce soir. Elle fut invitée à l’intérieur d’une pièce de taille modeste. « Madame arrivera sous peu. Mettez-vous à votre aise. » Et elle ne se fit pas priée. Son léger manteau fut abandonné dans les bras du domestique, qui ferma la porte derrière elle. Elle observa l’intérieur, avant de se diriger vers la plus grande des fenêtres, qu’elle ouvrit sans mal. L’air obscur s’engouffra, en même temps qu’une pie. Celle-ci tourna trois fois autour de la large table centrale, avant de se mettre en hauteur, d’où elle pourrait observer la scène, oiseau perché.

Köl, avec des gestes travaillés par l’habitude, sortit quelques affaires de son sac. Notamment une craie noire, qu’elle appliqua sur la table, dessinant runes et symboles étranges pour les incultes. Sur la vieille surface polie du bois, c’était à peine visible. Mais elle entendait le murmure paisible de la magie mère, qui léchait le prémisse d’une divination. La porte s’ouvrit à nouveau, dévoilant Myria, toujours aussi resplendissante que la dernière fois qu’elles s’étaient rencontrées, dans les jardins. « Madame. » Elle s’inclina, pour la taquinerie de la forme. « Comment vous sentez-vous ? » Elle marqua une courte pause, et si ses yeux ne luisirent guère dans la tendre pénombre de la pièce, ils prirent définitivement des aires de rapaces. « Vous êtes toujours prête à le faire ? » Le vent nocturne s’engouffra à nouveau, faisant vaciller la lueur timide des bougies. & le monde en suspens attendait une réponse.

Köl pouvait voir l’indécision chez Myria, et elle ne pouvait la blâmer. Le savoir était le pouvoir. Il était aussi une malédiction qui avait son poids et qui ne disparaissait jamais entièrement. Si la duchesse avait fait partie de ses oisillons, la chamane lui aurait offert une étreinte chaleureuse et l’aurait tenue par la main. Mais elle n’était pas ce genre de guide. Ce qu’elle faisait pour la blonde, elle le faisait dans un acte de générosité contrôlée. Avant tout, elle était après la même chose que sa vis-à-vis : la connaissance. Köl était curieuse, de cette curiosité qu’elle avait développé avec sa fonction. Les intrigues de la cour ne l’intéressait pas vraiment, elle qui s’était tenue éloignée d’Eredhel pendant si longtemps. Les mystères individuels, quand à eux…

La question lui fut retournée, sans réelle réponse et saisit l’occasion. « Impatiente, ce n’est pas tous les soirs que je perce les secrets des autres. » Et son entrain était sincère, alors qu’elle terminait d’installer les divers objets nécessaires à sa divination. « Et que je fais ça pour quelqu’un qui n’est pas de mon clan. » Köl était définitivement l’une des plus ouvertes, cela lui avait été souvent reproché. Elle, elle supposait que ça faisait partie de son charme. Myria répondit par l’affirmative, qu’elle était prête à se jeter dans l’inconnu et le sourire de prédateur de Köl retrouva sa place attitrée sur ses lèvres. Elle tapa dans ses mains à présent recouvertes de craies noires, sans qu’elle ne s’en formalise plus que ça. « Installez-vous. » Elle désigna une chaise qui était installée, dos à la fenêtre grande ouverte. « Soyez réceptives, ne vous projetez pas trop. » Ses mains s’agitèrent dans le vide, s’exprimant avec l’aisance de l’expérience. « Nous allons attraper ce qui est figé par la magie, je ne peux pas vous garantir de réponses, ni ce que nous obtiendrons. » Elle marqua une courte pause, alors qu’elle prenait place, derrière la chaise, ses mains appuyées sur le dossier. « Mais nous obtiendrons définitivement quelque chose. » Son excitation était palpable, immuable malgré les années de pratique.

Et malgré tout, Köl gardait son calme immuable, alors qu’elle continuait. « Ce qui sera dit ici, sera juste pour vous. Je ne m’en servirai pas, car ce n’est pas mon rôle. » Et elle avait retenu la leçon, que de forcer le destin. « Je suis tout juste un medium. » Elle prit une inspiration un peu plus longue, catalysant déjà une partie de sa magie. « Des dernières questions ? Sinon, le couteau est juste en face de vous. » Alors, le sang coulerait et il révèlerait ses secrets.