INTRIGUE 2 + MONDANITÉS ET RÉBELLION

La curiosité est mauvaise conseillère mais elle n’en a que faire et happée par les martèlements vocaux, Alice, vêtue de fête et d’argent, se hisse lentement sur la pointe des pieds, dans l’espoir d’apercevoir un peu mieux l’amoncellement perceptible au loin. A travers les longs carreaux de la demeure des An’Melhor, elle ne distingue qu’une furie chaotique faite de haillons et de poings levés.

Les yeux s’écarquillent sous le boucan intenable. Alice ouvre la bouche puis la referme sans comprendre. Ils doivent bien se douter que c’est une soirée mondaine où seules les élites sont conviées ? Veulent-ils entrer ? L’on pourrait leur faire porter instruments et orchestre – la musique adoucit les mœurs, n’est-ce pas ?- mais il est impensable de danser en sabots et dans des guenilles se dit-elle. Ça ne se fait pas lui a-t-on appris. La confusion de ses pensées lui fait froncer le nez et elle a un sourire contrit vers Athimbod. En vain.

Il doit pourtant savoir ce qu’il en est, lui.

Alice a passé sa journée à aider sa tendre amie, Myria toute rayonnante sous les lustres distinguées et maintenant la musique est gâchée par tout ceci. Elle a un mouvement accort, le tissu fluide autour d’elle, prête à tenir son rôle de dame de compagnie : légèrement en retrait, le sourire cristallin sous les longues bandes de cheveux noirs soigneusement peignés. Un joli portrait pour un joli décor.
L’assemblée vibre d’un commun accord et les échines se courbent en saluts respectueux à l’entrée du prince qui déjà s'éloigne vers un de ses charmants amis. Alice a le visage mobile et fait signe à Myria que Nikolaï est là. Elle sera en sécurité avec lui et Athimbod sera un peu plus libre de ses mouvements. Une moue se creuse sur les lèvres vermeil : Alice sait déjà qu’il n’en sera rien. Peste soit de l’intégrité professionnelle de ce garçon @Athimbod Nimrithel!  Elle espérait l’arracher à sa condition au moins quelques heures, l'entraîner dans son sillage malgré les côtes de maille et les mâchoires serrées qu’il offre dès que le trop plein de gens rendent sa tâche difficile.

Dehors, les cris redoublent.

« Tu crois que tout le monde parviendra jusqu’ici ? … » demande-t ’elle dans un chuchotement à Myria @Myria An'Melhor. Les sourcils se froncent en inquiétude surannée, l’attention moins présente pour le bien être de ces pauvres gens qu’elle ne connait guère que pour la réussite de cette soirée prometteuse. La langue vient lécher le rose des lèvres dans un aveu gênée. Elle n’a pas peur mais elle ne comprend pas ce charivari – ignorante des méandres politiques du royaume. Peu importe. Elle veut danser et rire, s’étourdir jusqu’au lendemain. Le corps papillonne sous les tissus élégants et elle tourne son visage vers la nouvelle entrée que l'on annonce.

Alice se penche à nouveau sur la vitre, poings subitement serrés et jalousie au bord des cils. Le ciel semble se couvrir d’une aura sombre répondant à son changement de cœur incertain lorsque Myria @Myria An'Melhor se montre aussi pessimiste. Alice aurait pourtant cru que des semaines en apnée sociale lui aurait rendu sa fraicheur joviale d’antan mais il ne lui semble à présent que ce temps n’a eu pour effet que de multiplier les murmures échangés entre son précieux futur fiancé @Athimbod Nimrithel et la duchesse.

Pas un seul mot ne lui a été offert et Alice cille lourdement devant l’ampleur de ce qu’elle perçoit comme du dédain. Du silence et des cachotteries. Très bien. Qu’elle fasse cela. La moue se resserre en quelque chose d’un peu plus vertigineux et Alice hausse les épaules avant de se tourner directement vers les autres invités. Il est hors de question  d’admettre qu’elle est vexée par la mine incongrue de son prétendant – oui.  Il n’est rien de plus faux : il est parfait et il fait cette tête uniquement parce qu’il aimerait l’embrasser à nouveau et qu’ils ne peuvent pas. Voilà tout. N’est-ce pas. La jeune femme inspire lentement, le cobalt se figeant dans un saphir tempétueux. Bien sûr que c’est ça. Le sourire revient un peu et elle se permet de le lui offrir dans un apaisement factice, une lueur pareille à lames portées sous les ceintures, au fond des yeux.

« Oh allons, lançons les festivités. Ne devrions-nous pas danser et boire. Messires @Nikolaï Valarÿn @Römhen O'Dregi? » Elle s’impatiente et a un léger mouvement de robe, la tulle légère aussi lourd qu’est l’humeur. Certes, le peuple est là à vociférer, mais qu’y pouvait-on après tout ? « Ou peut-être que je pourrais aller leur parler. Myria, tu ne crois pas qu’ils veulent juste… et bien… participer ? » Elle n’en a fichtrement aucune idée et songe seulement que la situation aussi inopportune soit-elle ne mérite pas autant d’excitation néfaste. Il suffisait de leurs faire porter petits fours et de les laisser danser eux aussi sur le parvis. Tout le monde serait alors parfaitement content.

C’est alors qu’elle perçoit les mouvements de foule sinueux et se rend compte que des gens sont au sol. Un court instant, Bod s’éloigne un peu de son esprit (même s’il n’en reste jamais bien loin). « Oh… » Elle se tourne vers Nikolaï. Le prince a peut-être l’habitude ? « Ne devrions-nous pas… décongestionner un peu la foule. Dans les écuries ou...ailleurs ? »

Pas un seul instant ne pense-t’elle à la violence possible, percluse dans le coton ouaté de sa naissance et de ses privilèges. Ils ne peuvent tous que les aimer. Comme Athimbod l’aime.