Ils ont tous tort.
Les poètes et les précepteurs, les romans et les chansons. L'amour glace autant qu'il réchauffe mais ce n'est jamais assez pour perdre la tête. Peut-être pour d'autre, mais pas elle. Non.
Pas elle. Elle est tout à fait sereine quand elle ouvre les volets et se tourne - joyeuse bien que les cernes soient légèrement apparentes - vers le lit blanc de la duchesse. Elles sont femmes et subissent les tourments du cœur et de l'âme depuis la nuit des temps. Ne serait-il pas plus simple que de porter cotte de maille et éventrer ce qui nous déplaît à tour de bras ? Ne serait-il pas plus facile que de prendre au lieu d'être toujours prise ? Le nez se retrousse et les yeux se plissent sous le soleil éclatant. L'or court sur les draps soyeux mais Alice n'en a que faire et laisse le soleil d'hiver se fondre dans la chambre. Tout les jours est une guerre dorénavant. Tout les jours apporte son lot de batailles silencieuses et de butins poisseux.
Alice sourit.
«
C'est une si belle journée, Myria ! Nous devrions aller chercher des marrons, qu'en dis-tu ? » L'onyx des cheveux resplendit sous les pâles rayons des jardins et elle sautille jusqu'au chevet de son amie, l'œil vif à noter les plis des draps qu'elle lisse machinalement avant d'y poser sa silhouette sinueuse. «
Prendras-tu le petit déjeuner ici ou préfères-tu le patio ? Si tu savais toute les nouvelles en ce jour ! Tu te souviens de la fille d'un des gradés ? C'était la fille ? Non, la fille de la cousine par alliance je crois... peu importe... il s'avère qu'elle est enceinte. Des œuvres d'un des lieutenants. » Alice se penche, chuchote, la voix lacérée d'un rire exquis sous les friandises que peuvent être les ragots d'un palais tel que celui des astres. «
Oh j'aime autant te dire que la famille est positivement outrée et veut absolument faire taire toute rumeur ainsi que toute promesse de mariage. Je ne vois pas ce qu'il y a de répréhensible à tout ceci pourtant. Et même, je trouve tout ceci fort romantique ma foi. Elle va surement pouvoir l'épouser maintenant que tout le monde le sait. Au diable les remontrances des parents, tu ne crois pas ? On ne peut pas aller contre le destin. » Le destin ou la volonté s'avérait être la même chose ici, les certitudes absolues en étendard. On n'aimait pas
un peu tout comme on ne pouvait pas être
un peu morte. On l'était ou on ne l'était pas et tout le reste n'était que fictions. La jeunesse brutale lui creuse une fossette tandis qu'elle prend une mine exagérée. «
Oh bien sur tu ne peux pas comprendre, tu es l'heureuse fiancée d'un joli prince charmant. Veinarde. » La moue se glisse sur les lèvres assassines, envieuses dans leurs contours. Nikolaï est ravissant et parfait dans son rôle. Parfait pour Myria. Cette dernière a de la chance d'être ainsi enchaînée, toute rose et ivoire à émerger de ses froufrous satinés. Un avenir couleur dragée. C'est ce qu'elle voudrait elle aussi mais avec Athimbod, tout est terriblement différent se dit Alice dans un frisson bienheureux. Elle s'imagine une vie à ses côtés aussi rugueuse et incandescente que son baiser et en rosit de délice. Les doigts caressent un bref instant la pulpe des lèvres comme un souvenir encore trop brûlant et les rêveries se font déjà flottantes vers le garde du corps à la mine taciturne. Oh comme elle aimerait pouvoir user de ce même stratagème avec lui. Obliger tout le monde à consentir enfin à son bonheur certain. C'est grande pitié qu'elle ne sache pas vraiment comment l'on tombe exactement enceinte en vérité, même si elle saisit l'idée général de la chose.
Un soupir passe et les doigts songeurs passent de la bouche au haut de la couette moelleuse, le cobalt du regard virevoltant sous des amusements silencieux. «
Les cuisines ont enfin terminés les premières pâtes de coing. Je ne devrais pas mais elles sont probablement si bonnes que je compte au moins en enfourner deux tartines entières. » Les sourcils se froncent subitement. «
Tu viendras avec moi n'est-ce pas ? Si ce n'est pas toi qui les demande, on ne me les donnera pas et qui plus est, je t'en ai parlé d'abord. Le prince n'aura qu'à en demander de son côté. » La jalousie ronge un peu, elle embrasse l'air mécontent d'Alice. Elle est multiple et trouble - presque innocente Alice aux longs cheveux d'ébène et aux points d'interrogations dans les yeux en veut un peu à tout le monde : à ces gens du commun qui ne la prennent pas au sérieux et qui ne jure que par la duchesse, à ce prince qui lui vole un peu son amie et même, elle s'en veut à elle-même de ne pas savoir résister à tout cela.
De petits crimes. Rien de bien méchant.
Elle veut juste goûter et prendre quelques sucreries. Il n'y a rien de mal à cela.
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